Au pays des pierres dorées (bis)


En 1793, la région de Theizé (grosso modo les cantons d’Anse et du Bois d’Oingt) est rattachée depuis seulement trois ans au district de Villefranche et donc au Beaujolais. Avant cette date, Theizé et la plupart des communes qui bordent les bois d’Alix, faisaient partie intégrante de la Sénéchaussée de Lyon.

À propos de de la vie des Theizerots à la veille de la Révolution, le rédacteur de Theizé en Beaujolais qui a travaillé d’après les registres paroissiaux, nous précise que la population d’alors était sensiblement égale à celle d’aujourd’hui (à peu près 1000 habitants) et que le taux de mortalité infantile était alourdi par les enfants lyonnais mis en nourrice dans la commune. Les eaux du Merloux animaient trois moulins, à

Theizé en 1793

la Calle, à Bourland et à Beauvallon ; un moulin à huile fonctionnait aussi à Grands Fonds. À Beau-vallon encore, un four à chaux ; et des carrières un peu partout.

La vigne était déjà présente, mais elle ne devait recouvrir guère plus de 20%43 des parcelles dans cette région trop éloignée de Lyon et à l’écart des grandes voies de communication. Ce qui n’empêchait pas toute commercialisation puisqu’on retrouve du vin de Theizé dans les comptes de l’exercice 1761-1764 de la Grande Taverne de la Charité à Lyon1.

On possède par ailleurs une assez bonne description de la commune pour 1697 grâce à l’enquête de l’intendant Lambert d’Herbigny2. On y apprend que le territoire de la paroisse s’étendait alors sur «deux lieues» dont le tiers était constitué de montagne et de lieux incultes, le sixième de vigne, le douzième en prairie et un autre sixième en bonne terre «assez forte» sur laquelle on pratiquait la culture du blé et du seigle en assolement biennal. Sur ce territoire vivaient 117 hommes mariés, 39 célibataires de plus de vingt ans et 143 garçons de moins de vingt ans. Également 143 femmes mariées ou veuves, 18 filles de plus de vingt ans et 137 filles de moins de vingt ans. Soit une population de 597 habitants qui avait subi une diminution d’environ un quart dans les trois ou quatre dernières années à cause de la pauvreté, de la disette et des maladies. Ce chiffre, très important en lui même, montre néanmoins que les Theizerots étaient relativement privilégiés par rapport à leurs voisins immédiats puisque les chiffres dont nous disposons pour Frontenas et Chessy montrent que dans ces communes cette diminution était d’environ 50%.

Mais l’enquête de 1697, présente une «photographie» de la commune à un des pires moments de l’ancien régime puisqu’elle a été effectuée seulement quatre ans après la dernière grande famine de l’époque moderne, celle de 1693-94. La vie des habitants du village et des communes environnantes a indéniablement
connu une amélioration au cours du XVIIIe siècle qui, bien qu’il n’ait été marqué par aucun progrès spectaculaire en matière agricole, a néanmoins et globalement été un siècle de croissance. On peut d’ailleurs s’en faire une idée en comparant la population de Theizé en 1697 (597 h) à l’estimation que nous en donne l’abbé Berthaud à la veille de la révolution (1000 h).

Une enquête similaire à celle de Lambert d’Herbigny, a été dilligentée par l’Abbé de Cordon en 17883. Les renseignements qu’on y trouve doivent être manipulés avec prudence : d’abord ils ne concernent pas Theizé dont les réponses sont perdues, ensuite il s’agit d’une enquête fiscale et les villageois qui y ont répondu ne se sont certainement pas souciés d’y exagérer leur prospérité. Ces réserves étant faites, on peu tout de même tirer parti des Instructions… de l’Abbé de Cordon pour se faire une idée de la réalité de la vie dans les parages qui nous intéressent à la veille de la Révolution.

On apprend donc qu’à Oingt, «les habitants étant pauvres sont obligés, dans le temps des moissons, d’aller travailler en Bresse et Dombes pour y gagner quelques bichets de bled dont la majeure partie rapporte des fièvres qui les font passer et laissent leurs veuves et leurs enfants dans la plus affreuse misère.» Que le cheptel de la commune, qui compte trois ou quatre cents habitants, est constitué de sept paires de bœufs, dix huit vaches et quatre vingt moutons, mais qu’il n’y a ni porc, ni cheval, ni âne. Que «les productions de la commune ne consistent qu’en vin de très petite qualité et en très peu de bled ; on ne peut même pas [s’y] défaire des vins, tant à cause de leur mauvaise qualité, qu’à cause de l’éloignement des grandes routes.» Au Breuil et à Chessy, les réponses sont un peu moins spectaculaires mais similaires. La situation des habitants de Theizé devait être certainement un peu meilleure que celle des paroissiens d’Oingt, de Chessy ou du Breuil. Nous avons vu que déjà, en 1693-94, à Theizé on avait relativement moins souffert de la famine. D’autres indices (le nombre de moulins bien supérieur à Theizé qu’à Chessy ou qu’à Oingt, le fait que Theizé commercialisait une partie de sa production vinicole…) nous permettent de dire que les Theizerots d’alors étaient très probablement des privilégiés par rapport à leurs voisins.

Il n’en demeure pas moins qu’ils vivaient dans une région excessivement pauvre, voire misérable et que ce privilège devait être bien mince. Sur leurs maigres revenus, les Theizerots et leurs voisins devaient bien entendu prélever la part du fisc ; et là les petits et moyens propriétaires des campagnes trouvaient un sujet de se plaindre non seulement du percepteur mais également de leurs voisins de Lyon. En effet, les bourgeois de Lyon (il suffisait d’être propriétaire dans la ville pour jouir de ce titre) étaient alors exemptés de la taille et ceci concernait non seulement leurs maisons de ville mais également leurs propriétés champêtres. Le montant de la taille était fixé pour chaque paroisse en fonction du revenu théorique de toutes les propriétés (y compris celles des Lyonnais) ensuite, ce montant global était réparti sur tous les propriétaires non privilégiés de la commune. … Il est possible que cet état de chose ait entraîné une certaine animosité envers les ressortissants de la grande ville.


1 - D'après l'enquête de l'intendant Lambert d'Erbigny de 1697 — Archives Départementales du Rhône :1C 4.
2 - D'après Durand (G.) Vin Vigne et Vigneron en Lyonnais et Beaujolais (XVIe-XVIIIe siècles), p. 92.
3 - A.D.R. 9C 61 Instructions demandées par le Département de l'Élection de Lyon aux municipalités. M. l'Abbé Cordon aîné, comte de Lyon, Président du Département.