Les Muscadins


Sans refaire ici l’histoire de Lyon pendant la Révolution, ni même faire le récit du siège de la ville par les troupes de la Convention en 1793. Il convient cependant de rappeler quelques faits qui vont nous permettre de comprendre qui étaient ces soldats qui sortirent de la ville au matin du 9 octobre 1793 et qu’on appelait les muscadins.

Lyon en 1793

En 1789, la ville de Lyon n’a pas encore «passé» le Rhône, et sa population est regroupée sur les quais de la Saône et dans la Presqu’île. Avec les faubourgs de Vaise, de la Croix Rousse et de la Guillotière la cité compte environ 150 000 habitants.

L’activité principale de la ville est le tissage et le commerce de la soie, industrie florissante naguère mais en pleine crise. On estime en effet qu’à la veille de la Révolution un tiers des canuts est au chômage. Cette crise économique engendre bien évidemment des tensions sociales ; face aux 60000 canuts, deux à trois mille privilégiés, nobles ou bourgeois dont une centaine de familles qui tiennent les rênes du pouvoir politique et économique et qui se succèdent à la tête de la municipalité de l’époque : le Consulat constitué d’un Prévôt et de quatre Échevins.
La tension sociale qui s’était cristallisée notamment lors de deux crises très dures en 1744 et 1786 va être ravivée en 1789 et aboutira à de nouvelles émeutes. Le Consulat fait alors appel à la fois aux troupes de lignes et «aux bons citoyens» qui constituent une garde bourgeoise de volontaires pour réprimer les troubles.
Cette garde bourgeoise ne sera dissoute qu’en février 1790 et pendant les premiers mois de la Révolution, elle sera l’instrument privilégié du premier échevin Imbert Colomes, dans sa tentative de résistance à la mise en place des nouvelles institutions démocratiques47.

C’est dans cette milice que se trouve l’origine du sobriquet de muscadins donné aux soldats lyonnais.

Pour certains auteurs, le mot aurait d’emblée désigné une certaine jeunesse dorée qui affectionnait particulièrement le musc. L’appellation serait donc tout naturellement passée aux miliciens du premier échevin ; et comme nombre de ces jeunes gens servirent dans les rangs insurgés lors du siège, l’appellation péjorative aurait fini par englober toutes les troupes lyonnaises. Et de là, par le relais des représentants en mission qui dirigeaient le siège de la ville, elle serait passée dans le lexique national et aurait fini par désigner les bandes de jeunes agitateurs royalistes du Directoire ; acception sous laquelle le terme est passé à la postérité.
Mais pour l’auteur lyonnais Ballaguy48 le mot aurait tout d’abord désigné les commis du négoce lyonnais et notamment ceux du négoce de la soie qui avaient, entre autres attributions, celle de receptionner et de rétribuer le travail des canuts. Tâche dans laquelle ils ne se seraient pas rendus populaires auprès de ces derniers qui moquaient leurs manières et leur parfum et qui les auraient baptisés muscadins.
Lors de la formation de la milice d’Imbert Colomes, ces Muscadins furent appelés à servir aux côtés des fils de leurs patron. Et ce serait donc à eux que la garde bourgeoise devrait cette appellation. Ballaguy raconte notamment (mais malheureusement il ne cite pas ses sources) qu’une des premières interventions de ces hommes (après qu’ils eurent contribué à mater l’émeute lyonnaise) fut d’aller réprimer les troubles du Dauphiné et qu’en rentrant «victorieusement» à Lyon, ils empruntèrent la Grande rue de la Guillotière où ils furent accueillis aux cris de «muscadins» et bombardés de divers objets par la population du Faubourg massée aux fenêtres.

Plusieurs éléments nous donnent à penser que cette explication est la bonne. D’abord le dictionnaire des Goncourt atteste qu’encore au XIXe siècle les commis des magasins Lyonnais étaient désignés comme des muscadins49 et le Larousse du XXe siècle établit que dans les années trente, à Lyon, ce mot était toujours appliqué aux commis des magasins de denrées coloniales. Ensuite et surtout nous avons retrouvé dans un texte de 1794 une définition de ce terme ; et elle corrobore tout à fait l’hypothèse de Ballaguy.
Elle est tirée d’un mémoire intitulé Le Siège de Lyon ou le triomphe de la Calomnie. Son auteur est Thomas Nicolas Casati50 un peintre lyonnais d’origine italienne qui servit comme caporal dans l’armée de Précy :
«Quant aux muscadins j’ai dit plus haut que ce sont les commis de magasins, mais comme en ce jour là, il paraissoit que tout devoit concourir à la défense générale de la ville en danger, les négociants et tout bon citoyen pris les armes pour résister à l’oppression dont on étoit si visiblement menacés par les patriotes établis à l’hotel comun. Ce sobriquet a été ensuite conservé à ce parti par les soins de la Convention qui a trouvé dans cette épithète, un moyen de plus pour les rendre ridicules[…]»51

Si les soldats lyonnais de l’armée du siège se sont retrouvés affublés du même sobriquet que la milice réactionnaire d’Imbert Colomès, il ne faut pas en conclure que ces insurgés étaient un ramassis de jeunes gens bien nés et de commis du négoce. Plusieurs travaux52 ont établi que la révolte des Lyonnais du 29 mai 1793 était le fait d’abord de républicains, modérés mais sincères, qui voulaient renverser la municipalité du «Chalier» Bertrand pour des raisons purement Lyonnaises.

Leur drame a été qu’au moment où ils s’insurgeaient contre cette municipalité «enragée», le mouvement de bascule inverse s’opérait à Paris avec la proscription des Girondins.
Les braises de cette révolution municipale furent attisées d’abord par les royalistes qui avaient participé à la journée du 29 mai, puis par quelques députés girondins en fuite. La rupture avec Paris fut consommée dès la mi-juillet avec l’exécution de Chalier. A Lyon on créa une armée départementale tandis que le représentants Dubois Crancé commençait à mobiliser le département de l’Isère et à écrire au comité de salut public pour détourner une partie de l’armée des Alpes afin de mater Lyon.

Le siège de Lyon en 1793
(Gravure allemande - Musée Historique de Lyon)

 

Dès lors, les royalistes qui formaient l’essentiel de l’État-major de l’armée départementale prirent de plus en plus d’influence. Influence qui allait bien entendu s’accroître encore lorsque les armées de la Convention mirent le siège devant Lyon, le 7 août. Pendant un temps, les Lyonnais pourront se croire les plus forts et ils réussiront même à occuper Saint-Étienne et surtout Montbrison avec le soutien des royalistes locaux. Mais les représentants en mission dépêchés pour conduire les opérations finirent par rassembler plus de cinquante mille hommes sous les murs de la ville et surtout à la cerner complètement. Dès lors l’investissement ne pouvait être que retardé et ce n’est certainement pas la stratégie purement défensive du commandant en chef des troupes lyonnaises, le général Précy, qui aurait pu l’empêcher.

Après un baroud d’honneur victorieux, mais terriblement meurtrier, le 29 septembre, les Lyonnais surent qu’ils avaient perdu. Les autorités civiles, malgré l’opposition du commandement militaire, tentèrent de négocier une réddition honorable. Précy, quant à lui fit savoir à ses fidèles qu’il allait tenter une sortie. Celle-ci s’opèra le 9 octobre au matin.
Des officiers royalistes, Lyonnais ou non, certains revenus d’émigration pour se jeter dans la ville rebelle, des nobles du Forez ayant gagné la capitale des Gaules dans les rangs des Lyonnais venus occuper Montbrison, des administrateurs insurgés inquiets pour leurs têtes, quelques femmes… Mais aussi des hommes de la troupe, ceux des unités sûres à qui l’on a fait passer la consigne, et sans doute encore, ceux qui ont suivi le mouvement ou qui ont réussi à savoir.
Dans des proportions qui restent à déterminer, voilà les hommes qui composent cette troupe.
La plupart partent pour ne plus revenir ; et comme ils en sont conscients, dans la mesure du possible ils emportent tous leurs biens.
Ce sont les muscadins. Nous les retrouverons bientôt dans les parages de Theizé.